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Les aires protégées en foret : quelques defis pour demain -Congrès forestier mondial



Congrès forestier mondial

Les aires protégées en foret : quelques defis pour demain
Christian Barthod1

L’atteinte, au moins sur le papier, des objectifs quantitatifs fixés en 1982 par l’UICN en pourcentage de surface classée en aires protégées s’est révélé insuffisante pour arrêter la perte de biodiversité. Ce constat préoccupant conduit à identifier sept défis majeurs pour rénover les politiques d’aires protégées, y compris en forêt : 1) améliorer la représentativité de ces surfaces protégées, avec une priorité pour les zones de 'hot spot' de biodiversité ; 2) agrandir la taille moyenne des aires protégées en visant une meilleure prise en compte de la fonctionnalité écologique, ou de trouver des approches qui intègrent davantage la gestion des aires protégées avec celle des territoires environnants ; 3) comprendre qu’une politique d’aires protégées n’est jamais une pure politique scientifique, et que sa dimension culturelle doit être nécessairement prise en compte ; 4) lutter contre la fragmentation écologique en passant d'un e série d'aires protégées ponctuelles à un véritable réseau écologique, reposant sur des zones noyaux pour la biodiversité, reliées par des corridors ; 5) améliorer la gouvernance des aires protégées, afin de renforcer leur acceptabilité sociale et d’éviter que leur gestion pratique ne soit vidée de tout sens du fait de conflits ingérables avec les populations locales ; 6) essayer d’intégrer les changements climatiques dans la politique de création et de gestion des aires protégées, alors que la tolérancemaximale acceptable pour beaucoup d'écosystèmes et d'espèces est de 2°C par rapport à la période avant l'ère industrielle ; 7) mettre en place des mécanismes financiers nationaux et internationaux compatibles avec une gestion durable des aires protégées. Plus globalement, l’approche scientifique et politique actuelle des aires protégées, en forêt oblige désormais à se poser les questions de ce qu’il y a autour des aires protégées, et de la biodiversité ordinaire, celle qui ne justifie pas la création d’aires protégées. Mais la nouveauté la plus marquante des dernières années est la découverte, ou plus exactement la redécouverte qu’il n’y a pas de politique de protection de la nature qui ne passe d’abord par une prise en compte des acteurs qui la font ou peuvent la défaire. La présente communication développe les défis 2, 3, 4 et 5. Mots clés: Aires protégées, dimension culturelle, réseaux écologiques, gouvernance.



L'objectif d’au moins 10% de la superficie terrestre classés en aires protégées (adopté par l’UICN 2 , lors du Congrès mondial des parcs, à Bali, en 1982, alors que le pourcentage n'était alors que de 3,5%) est désormais largement dépassé. Dans le cas de la forêt, 12,4% de la surface mondiale était déjà en 2003 en aires protégées, ce qui n'a cependant pas empêché une dégradation des autres surfaces forestières depuis 1992. Le classement en aires protégées de plus de 12% de la surface terrestre représente le type même de la malédiction chinoise 'Que tous tes désirs soient exaucés', au regard de l’ob jectif affiché avec constance par l’UICN pendant 25 ans. En effet ce n'estmanifestement pas suffisant pour garantir la préservation de la biodiversité. Les sept défis majeurs pour l’avenir (au-delà du fait que certaines de ces aires formellement protégées ne le sont pas dans les faits) semblent désormais :
d'améliorer la représentativité de ces surfaces protégées, avec une priorité pour les zones de 'hot spot' de biodiversité. Dans le domaine forestier, du point de vue de la représentativité, il demeure cependant un besoin de classement qui concerne majoritairement les pays développés pour les biomes mal représentés 3 que sont notamment les forêts résineuses tempérées (7,6%) et les forêts feuillues tempérées (8,6%) ; d’agrandir la taille moyenne des aires protégées en visant une meilleure prise en compte de la fonctionnalité écologique, ou de trouver des approches qui intègrent davantage la gestion des aires protégées avec celle des territoires environnants ; de comprendre qu’une politique d’aires protégées n’est jamais une pure politique scientifique, et que sa dimension culturelle doit êtrenécessairement prise en compte ; de lutter contre la fragmentation écologique en passant d'u ne série d'aires protégées ponctuelles à un véritable réseau écologique, reposant sur des zones noyaux pour la biodiversité, reliées par des corridors : ce sera sans doute le grand chantier des années à venir ; d’améliorer la gouvernance des aires protégées, afin de renforcer leur acceptabilité sociale et d’éviter que leur gestion pratique ne soit vidée de tout sens du fait de conflits ingérables avec les populations locales ; d’essayer d’intégrer les changements climatiques dans la politique de création et de gestion des aires protégées, alors que la tolérance maximale acceptable pour beaucoup d'écosystèmes et d'espèces est de 2°C par rapport à la période avant l'ère industrielle ; de mettre en place des mécanismes financiers nationaux et internationaux compatibles avec une gestion durable des aires protégées. Le premier défi est assez classique et suppose des approches scientifiques bien rôdées, mais le relever conduit également à s’intéresser à la dimension culturelle des politiques d’aires protégées et à leur gouvernance. Le sixième défi pose des problèmes redoutables aux po litiques d’aires protégées, nécessairement lourdes et à visée pérenne, mais les premières réflexions, certes stimulantes, ne sont pas encore vraiment convaincantes. Le septième défi justifierait à lui-seul une attention particulière, car le grand nombre d’aires protégées qui n’existent que sur le papier doit beaucoup aux mécanismes financiers internationaux qui se soucient encore trop de création de nouvelles airesprotégées, et pas assez de leur pérennité et de leur efficience. La présente présentation privilégiera les quatre autres défis.

Les aire s protégées, la fonctionnalité écologique et les territoires environnants
Les contingences liées aux politiques publiques de création d’aires protégées empêchent souvent de raisonner les surfaces à classer en aires protégées sur les seules considérations scientifiques de l’écologie fonctionnelle. L’agrandissement des surfaces unitaires sous protection mérite considération, mais se révèle souvent impossible. C’est pourquoi il convient de repenser plutôt les liens entre les aires protégées et les territoires environnants, en gardant en mémoire les intuitions fondatrices des réserves de biosphères de l’UNESCO, avec leurs zones tampons, même s’il faut inventer de nouvelles options pour atteindre cet objectif. La différence en terme de biodiversité n'est en effet clairement pas entre les aires protégées et le reste des territoires, mais entre d'u ne part les aires protégées et d'autres surfaces importantes gérées sans gros impact écologique, et d'autre part les surfaces agricoles, les plantations forestières et les surfaces urbanisées. De ce fait les approches techniques et administratives qui séparent drastiquement les aires protégées de leurs espaces environnants sont de plus en plus critiquées, et des voix autorisées p laident pour une approche écosystémique qui s'affranchisse de ces limites administratives artificielles, faute de quoi les aires protégées seront incapables de faire face aux défis du changement et à leur solidarité écologique de fait avec leurenvironnement spatial. En effet, même dans le cas des très grands parcs nationaux, il est illusoire de penser que le classement suffit à permettre une approche cohérente de nombreux problèmes environnementaux. Le parc national de Yellowstone (USA), pour tout ou partie de son territoire, participe de fait à une vingtaine de processus différents de planification englobant tous des territoires extérieurs au parc. Il est trop facile et scientifiquement inadéquat de penser que le classement en parc en fait une unité écolo giquement pertinente pour tous les sujets, et que les territoires des parcs peuvent rester à l'écart des réflexions des territoires environnants en terme de gestion intégrée des écosystèmes. La superposition des processus de planification sur un même territoire ne fait qu'illustrer la multiplicité et la variété des solidarités écologiques de ce territoire avec son environnement, ce qui doit être compris comme fondamentalement valorisant. Généralement les questions relatives à la gestion de l'eau servent de fédérateur et de détonateur à la mise en place d'une telle approche, avant que la réflexion ne s'élargisse aux oiseaux migrateurs, aux papillons, aux plantes invasives, etc. Les USA ont ainsi été conduit à mettre en place une conférence permanente associant 17 agences fédérales et des universités, pour coordonner une approche intégrant les parcs nationaux et les territoires environnants. La nouvelle loi française de 2006 sur les parcs nationaux a instauré leprincipe d’une charte contractuelle entre le gestionnaire du parc national et les collectivités territoriales des territoires environnants, en mettant en avant l’idée d’une solidarité écologique entre ces deux grandes zones, celle qui est fortement protégée (le cœur du parc national) et celle qui entoure le cœur (l’aire d’adhésion à la charte) au travers d’un projet de territoire, c’est à dire d’une vision partagée de l’avenir de ces territoires en interaction permanente. La solidarité écologique s’exprime dans les deux sens, au profit mutuel des deux zon es, traduisant la réalité d’un espace de vie et de développement durable. Le gestionnaire du parc national et la charte du parc national ont vocation à valoriser les usages qui concourent à la protection des paysages, des habitats naturels et des espèces situés dans le cœur, et dans une moindre mesure dans l’aire d’adhésion, et à prévenir les impacts négatifs sur les surfaces du cœur. Le maintien ou la restauration des milieu x naturels ou seminaturels du cœur supposent de prendre en compte les grands ensembles écologiques fonctionnels qu’ils constituent avec certains milieu x, comparables ou non, de l’aire d’adhésion. La gestion conservatoire du cœur contribue souvent au renforcement ou au maintien, en quantité et en qualité, des ressources naturelles qui bénéficient à l’aire d’adhésion, comme l’eau, certaines espèces chassables ou le croit des animaux ayant estivé dans le cœur. La pro ximité d’un riche patrimoine naturel, culturel et paysager protégé améliore la qualité de vie des résidents de l’aire d’adhésion, et représente à ce titre unfacteur d’attractivité pour les territoires environnants du cœur. La forte demande de découverte des cœurs de parcs nationaux favorise un tourisme dont l’organisation est un atout de développement durable pour l’aire d’adhés ion.

La nécessaire dimension culturelle des politiques d’aires protégées
Il convient tout d’abord de reconnaitre que les communautés locales ont géré pendant des siècles de façon satisfaisante les territoires qui justifient aujourd'h ui, sur la base de cette gestion, un classement en aire protégée, même s’il est encore trop souvent impossible (et politiquement totalement incorrect) d'émettre publiquement l'hypothèse que l'évolution démographique (dans un sens ou dans un autre), l'introduction de progrès techniques et la diffusion de nouveaux modèles culturels et de consommation puissent déstabiliser de l'intérieur et irréversiblement les pratiques durables des communautés locales et des peuples indigènes. L'enthousiasme des protecteurs de la nature et la qualité du travail accompli par eu x depuis plusieurs décennies a permis la très forte augmentation des aires protégées, mais un certain 'zèle missionnaire' qui a caractérisé beaucoup de leurs projets a également suscité des problèmes sans savoir les traite r, ce qui oblige aujourd'hui à penser de nouvelles approches. Cette réflexion doit certes concerner la gestion des aires protégées, mais aussi les processus de désignation de nouvelles aires protégées. Au cours des quinze dernières années, la complexité des interactions entre environnement, économie, société et culture a fait l'objet d'une réelle prise deconscience. L’expression même de protection de la nature suscite souvent dans le monde rural une incompréhension : protéger veut en effet dire implicitement protéger contre quelque chose ou quelqu’un. Si on ne précise pas ce « quelque chose » ou ce « quelqu’un », on ne peut empêcher les acteurs ruraux traditionnels de penser qu’ils sont vus comme des agresseurs de la nature, et que les citadins, les « gens d’ailleurs », cherchent à protéger les territoires ruraux contre ceux qui y vivent et y travaillent. En effet les mots n’ont pas ou plus le même sens pour tous les acteurs concernés, d’autant plus que se cache souvent sous les mots la confrontation d’une culture urbaine et d’une culture rurale. Il est dès lors urgent de négocier le contenu sémantique du projet d’aire protégée avant que la crise n’éclate. Très rapidement, le débat risque en effet de sombrer dans l’alternative manichéenne classique où chacun est sommé de choisir entre l’homme et la nature. Les protecteurs de la nature, promoteurs des aires protégées, sont alors perçus comme fondamentalement hostiles à l’homme. Les ruraux se proclament souvent « espèce menacée » et refusent catégoriquement ce qu’ils dénoncent comme une création de « réserves d’indiens ». Pour éviter cette incompréhension, Henri Ollagnon4 et son école de stratégie patrimoniale proposent de parler en terme de « qualité d’un territoire », et en particulier de « qualité du vivant » du territoire. De fait les acteurs ruraux peuvent adhérer à la nécessité de maintenir ourestaurer un haut niveau de qualité du vivant naturel et humain sur leur territoire de vie. Il convient de ne pas sous -estimer les difficultés d’une telle approche renouvelée qui devrait idéalement comprendre : un processus d'appropriation du territoire par les populations, qu'il faut inviter à exprimer leur vision de l'avenir ; un processus de mise en évidence partagée des problèmes du territoire concerné ; un partage des connaissances qui sous -tendent le besoin d’un projet d’aire protégée, et en particulier les connaissances des acteurs locaux ; la clarification par chacune des parties concernées de ce qui n’est pas négociable (au mo ins au mo ment du lancement du projet) et de ce qui est désirable ensemble, dans un débat explicite ; un processus participatif à caractère contractuel, nécessitant d’une réelle capacité d’animation locale et d’une méd iation localement reconnue, attentive aux asymétries de pouvoir et de capacité d’argumentation ; l’identification des marges de manœuvre, où les groupes concernés ont des options à discuter au delà de l’acceptation totale ou le refus total ; le développement d’un « projet » cohérent, avec des objectifs et des principes opérationnels simp les. Le vrai critère de réussite est la prise en charge active de la qualité du vivant par les acteurs publics et privés concernés. Obtenir une conviction et un engagement partagés suppose que la qualité du vivant soit vraiment perçue comme le patrimoine commun des acteurs qui peuvent la dégrader, et non comme un patrimoine relevant d’une collectivité publique lointaine plus ou moins manipulée par des groupesde pression qui, de loin, paraissent tout sauf clairs. En France, la perception de la dimension culturelle des tensions et conflits autour de la protection de la nature a été lente à s’imposer. Elle explique pourtant une grande partie des tensions rencontrées durant les années 1990, lors de l’émergence d’une conception renouvelée de la protection de la nature, qui refuse désormais de limiter son ambition aux seules « aires remarquables protégées » traditionnelles. Si ces tensions et conflits sont si forts, c’est qu’ils mettent en cause beaucoup de l’identité culturelle d’un pays comme la France, et plus encore celle des gestionnaires de ses espaces ruraux. Les dépasser suppose une grande attention aux mots, aux représentations culturelles, aux processus de prise de décision et de suivi des décisions, en revalorisant l’intelligence stratégique5 par rapport à l’intelligence universelle, au service de la qualité biologique des espaces ruraux. Trop souvent, à partir du moment où l’argumentaire politique et scientifique qui a justifié un projet de protection semble convaincant, intellectuellement fondé et reposer sur des arguments structurés, il existe un certain désarroi à constater que l’adhésion attendue n’est pas au rendez-vous. Dès lors plutôt que de reconnaitre un raisonnement inadéquat à saisir la comp lexité locale, la facilité consiste à soupçonner ou identifier de la mauvaise foi ou des intérêts cachés. Face à ce soupçon, la pensée universaliste est presque toujours démunie et se raccroche, en désespoir de cause, à des arguments d’autorité ou à l’organisation d’un rapport de force.Parfois une telle stratégie permet de passer en force, lorsque les surfaces concernées sont faibles, mais de plus en plus souvent, et plus encore quand les surfaces en cause sont importantes au regard des acteurs concernés, elle n’aboutit qu’à organiser une confrontation où les compromis sont mal vécus par l’ensemble des parties qui s’opposent. Les tensions que suscite une action toute entière inspirée par la pensée universaliste sont exacerbées par la montée inexorable des problèmes complexes multi-acteurs qui caractérisent les débats de société relatifs au vivant. Il est urgent de déplacer le débat vers d’une part l’identification partagée de la valeur (utilitariste, éthique et esthétique) de ce qui est à protéger par et pour les acteurs présents sur le territoire concerné, et d’autre part vers la question de la prise en charge de cette valeur par ces mêmes acteurs, au travers d’un mode de gestion à négocier. Il s’agit donc d’un changement nécessaire dans les modes de gouvernance des projets de protection et de gestion de ces territoires.

Vers des réseaux é cologiques
Les paysages évoluent de plus en plus rapidement, du fait notamment dessurfaces artificialisées pour l’urbanisation et les infrastructures, du fait également de la modification compréhensible des pratiques de gestion de l’espace rural (surfaces agricoles, plantations forestières, …) et de l’émergence de nouveaux types d’espaces semi-urbanisés. Cette situation pose des problèmes de plus en plus aigus pour la préservation de certaines espèces animales ou végétales, en modifiant et en raréfiant les milieu x naturels dont elles dépendent, mais aussi en fragmentant leurs populations qui sont pénalisées par les obstacles parfois infranchissables que les individus rencontrent dans leurs déplacements, pour leur alimentation ou leur reproduction. C’est tout le tissu du vivant qui est ainsi gravement fragilisé. Au-delà de la politique des espaces protégés, généralement ciblée vers les espèces et les milieu x remarquables, il est désormais indispensable d’agir aussi à l’échelle du paysage pour maintenir et le cas échéant restaurer la continuité écologique entre les espaces restant riches en biodiversité. La destruction et la fragmentation des habitats naturels se traduisent aussi bien par la diminution des surfaces utilisables par une espèce ou groupe d'espèces que par l’augmentation des distances qui séparent les habitats naturels les uns des autres, rendant la colonisation ou recolonisation de ces habitats difficile ou plus improbable. Un phénomène massif de déclin de la biodiversité dû à la fragmentation des habitats a été constaté depuis de nombreuses années. Plusieurs théories ont été élaborées pour expliquer ce phénomène. C’est la théorie des méta-populations6qui est la plus communément acceptée par le monde scientifique. Même si pour des prédictions précises cette théorie doit être adaptée au contexte paysager local et aux exigences des espèces (qui ne sont pas toujours connues), elle a dévoilé l’importance de la taille et de la qualité intérieure des habitats, ainsi que de la création, de la conservation et de la restauration de corridors écologiques favorisant les déplacements et les échanges entre les habitats. Apparue dans les années 1980, l’écologie du paysage étudie l’effet des motifs du paysage sur les processus écologiques. L’écologie du paysage ne se résume donc pas à un simple inventaire de la répartition spatiale des différentes composantes et de leur dynamique dans le temps mais étudie les relations entre les structures du paysage et son fonctionnement écologique. Elle cherche à montrer comment la structuration du paysage et l’organisation des éléments qui composent le paysage agissent sur la biologie des populations en particulier, et sur la biodiversité en général. Cette discipline a permis n otamment de démontrer l’importance de maintenir des structures paysagères permettant la connexion des habitats naturels et le bon fonctionnement écologique du paysage. Les approches scientifiques précédentes ont mis en évidence d’une part que les espèces avaient besoin de circuler, d’autre part que cette circulation dépendait de la perméabilité des paysages liée principalement à leur structuration. Ainsi, elles ont démontré que la biodiversité ne peut-être conservée que par une gestion globale du territoire permettant non seulement deconserver des sites naturels remarquables mais également, de maintenir et, si possible, renforcer les connexions en réseaux de ces sites. La capacité de dispersion des espèces étant très variable, il faut raisonner en réseaux et sous réseaux. Cette nouvelle approche basée sur les notions de réseaux et de connectivité écologique est plus complexe que l’approche « traditionnelle » de la conservation de la biodiversité puisqu’elle ne concerne pas uniquement les milieu x naturels mais également les milieu x agricoles et urbains. Cela suppose la prise en compte des enjeux de biodiversité dans l’ensemble des politiques publiques sectorielles et par l’ensemble des acteurs territoriaux. Pour un milieu donné et un groupe d’espèces données, un sous-réseau est constitué de trois composantes principales, les cœurs de nature (ou zones noyaux pour la biodiversité, ou encore réservoirs de biodiversité), les zones tampons (pour protéger ces cœurs de nature d’influences extérieures potentiellemen t dommageables) et les corridors (pour permettre les échanges entre les cœurs de nature).

Une méta-population est un ensemble de populations réparties dans l’espace, entre lesquelles il existe des échanges d’individus. La survie d’une méta-population est donc dépendante du bon état des connections entre ses populations, où les extinctions locales sont limitées par les phénomènes de migration et de dispersion d’une population à une autre, c’est-à-dire entre les différents habitats naturels isolés. Il en découle que si l’isolement des populations locales est assez important, il faut augmenter la surface dessites afin de diminuer la probabilité d’extinction locale. Dans l’autre sens, si les surfaces des habitats sont petites, la connectivité des sites doit être améliorée pour que la migration et la dispersion d’individus compensent l’extinction. Cette théorie explique aussi pourquoi certains habitats favorables peuvent être momentanément non occupés par une espèce.


Une telle politique d’aménagement du territoire, prenant en compte les nécessaires continuités écologiques, et cohérente avec les efforts déjà consentis en faveur des espaces protégés, présente par ailleurs quatre autres avantages : elle élargit, sans coût supplémentaire, au x espèces et milieu x ordinaires le bénéfice des efforts déjà consentis pour les espèces et milieu x remarquables ; elle permet de maximiser les chances de préserver les fonctions et services écologiques dont notre société est dépendante sans toujours être consciente de leur valeur économique ; elle contribue à l’amélioration du cadre de vie et des paysages ; elle participe à l’effort de nos sociétés pour s’adapter aux défis importants découlant du changement climatique. La mise en œuvre de tels réseaux écologiques est nécessairement partenariale et transversale à plusieurs politiques sectorielles. Elle repose sur une bonne articulation entre les différents niveaux d’approche, aussi bien spatiale (internationale, nationale, régionale et locale) qu’à celle des acteurs (notamment Etat et collectivités territoriales) qui doiventassumer dans leurs décisions les conséquences concrètes de cette ambition. Une telle articulation est en effet indispensable pour garantir l’opérationnalité d’un réseau écologique. C’est l’expérience des pays européens et nord-américains qui se lancent dans de tels projets depuis plusieurs années.

La gouvernance des aires protégées à la recherche d’innovations
Un peu partout, dans un contexte mondial de décentralisation, il existe un problème croissant d'articulation entre pouvoir national et pouvoir provincial, et la bonne gouvernance7 des aires protégées oblige à prendre aussi en compte des processus de décision associant les populations locales et le secteur privé, dont les propriétaires fonciers. La décentralisation est un mouvement de fond et la politique des aires prot égées doit

C’est à dire les modalités de prise de décision, de mis e en œuvre de ces décisions et d’évaluation des objectifs atteints au regard des motivations de la décision. Il est nécessaire dans ce cadre d’identifier les partenaires associés (il y a nécessairement un choix, en dehors de l’ideal type de la démocratie participative totale), et les processus mis en œuvre (pouvant aller de la simp le consultation à la codécision et co-évaluation) s'adapter, ce qui suppose de réussir rapidement à démonter les enjeux et les bénéfices des aires protégées pour les populations locales, et plus seulement pour le bien être national ou international. Il existe quatre grands types de gouvernance des aires protégées existant dans lemonde : 1) étatique (propriété Etat et gestion soit directement, soit par délégation de pouvoirs), 2) privée (propriété et gestion par des individus, des ONG ou des sociétés), 3) co mmunautaire (propriété et gestion par des communautés locales ou des peuples indigènes), et 4) fédérative entre les trois premiers types d'acteurs (mélange de types de propriété, gestion par des organismes où siègent les trois types d'intérêt : cas français). Certains experts pensent que les progrès les plus importants à attendre viendront de nouvelles aires protégées à gouvernance communautaire ou privée, qui seraient seules à même de compléter les lacunes venant des solutions lourdes étatiques et fédératives actuellement privilégiées. On oublie trop souvent que les aires protégées peuvent reposer sur une combinaison des trois approches réglementaire, de maitrise foncière, mais aussi contractuelle, approche plurielle que la France essaie de promouvoir. La prise en compte des propriétaires fores tiers dans une politique d’aires protégées forestières est désormais vécue comme urgente et légitime au regard de trois préoccupations : 1) compléter la représentativité au sein des aires protégées, alors que l'Etat ne possède pas ou pratiquement pas de te rrains comportant certains types d'écosystèmes ou d'espèces ; 2) la nécessité de mettre en place des corridors entre les aires protégées officiellement classées ; 3) le besoin de mettre en place des zones tampons autour des aires protégées officiellement classées. L'Environ mental Law Institute appelle l'attention sur le fait que l'A mérique latine (au premier rang,le Costa Rica) est depuis une décennie au moins le leader mondial incontesté de l'innovation dans le domaine de la prise en compte des propriétaires privés dans la mise en place d'aires protégées gérées par eux, par des mécanismes institutionnels innovants ou en créant des mécanismes incitatifs. Les services environnementaux rendus par les aires protégées sont d'abord perçus, un peu partout dans le monde, via les problèmes d'alimentation en eau potable, ce qui donne lieu au développement de mécanismes de rémunération, essentiellement au bénéfice des propriétaires forestiers en échange d’un service effectif. L'A mérique centrale a été pionnière dans ce domaine, mais ceci s'étend en Amérique du Sud et sur d'autres continents. Le Costa Rica prélève une taxe sur la production des centrales hydroélectriques et s'en sert pour rémunérer des contrats de gestion durable passés avec des propriétaires forestiers . L'Equateur est en train de mettre en place une taxe sur l'eau potable pour financer la gestion des aires protégées forestières. Au Guatemala, Coca Cola rémunère les propriétaires forestiers pour la qualité de l'eau dont il a besoin dans sa production. Une loi brésilienne institue un mécanisme par lequel les Etats achètent aux communes des prestations relatives à la qualité de l'eau via l'aménagement de leur territoire, et une agence fédérale de l'eau travaille sur un projet de rémunération des propriétaires forestiers. Le Costa Rica a développé un programme de réalisation effective de corridors entre les parcs nationaux, essentiellement sur des propriétés privées, pour leur majoritéforestières. Cela passe d'abord par un très gros travail de cartographie de la biodiversité du territoire entre les parcs, par une cartographie des types actuels de gestion et des menaces, et par une cartographie des propriétés privées, permettant ensuite de faire des choix dans l'implantation des corridors. Dans une seconde étape, tous les propriétaires privés situés sur les corridors retenus sont individuellement démarchés et des réunions sont organisées. Pour mettre en place ces corridors, le gouvernement et les ONG associées jouent sur 4 options possibles, combinables pour ce rtaines d'entre elles : 1) libre adhésion à un cahier des charges de gestion, sans rémunération, souvent dans le cas de propriétés affectées à l'écotourisme ; 2) exonération de la taxe foncière ; 3) signature d'un contrat de 5 ans pour un montant forfaitaire de 50 dollars par ha (contrats déjà signés sur 250 000 ha et projets en cours d'instruction sur 650 000 dollars) ; 4) instauration de servitudes environnementales légales ou d''conservancy easements'8 . Le contrôle est fort, car tous les propriétaires situés sur les corridors et ayant adhéré à ce programme sont visités trois fois par an. L'argent provient de trois sources : a) une taxe de 3,5% sur l'extraction du gaz naturel ; b) une taxe sur la production d'énergie hydroélectrique (Cf. lien forêt -eau) ; par le régime du 'conservancy easement' (servitude conventionnelle environnementale), un propriétaire renonce librement, pour une durée limitée ou définit ivement, à l'exercice d'un droit particulier en désignant lui-même le bénéficiaire (un propriétairevoisin, une association de propriétaires, une ONG, une fondation, un 'land trust', une collectivité, un organisme d'Etat ou l'Et at lu i-même) qui se voit transférer ce droit et le cahier des charges afférent. Lors d'une donation ou d'une vente, cette 'contrainte' se transmet automatiquement et la valeur foncière est réduite du montant correspondant à la disparit ion de ce droit.


c) la vente à titre expérimental de crédits carbone (en anticipation de la mise en œuvre du protocole de Kyoto) aux Pays-Bas et à la Norvège, et façon plus marginale à quelques compagnies nord -américaines. Le mécénat d'entreprise innove également. La société CANON finance des bourses de doctorat sur des sujets intéressant des parcs nationaux américains, sur la base d'u n accord avec l'US National Park service et une association indépendante de scientifiques qui cautionne les sujets. Par ailleurs une PME de b rasseurs allemands (Krombacher) a établi un partenariat avec un parc national de Centre-Afrique, via le WWF, sur la base d'une somme par caisse de bière vendue. La justification de ce mécénat repose sur le lien entre la bière et la qualité de l'eau nécessaire, via la forêt, mais avec une dimension médiatique forte qui valorise la forêt tropicale. Il faut noter que ce brasseur a voulu dans un premier temps intervenir sur un projet gouvernemental, mais que la bureaucratie et la lenteur des décisions administratives l'a convaincu que le monde de l'entreprise peut plus facilement faire affaire avec une ONG.

ConclusionLes politiques d’aires protégées sont désormais confrontées à des questions difficiles, maintenant que le grand souffle de l’objectif quantitatif proposé par l’UICN est atteint, au moins sur le papier. Sans même aborder la menace du changement climatique sur la conception traditionnelle des aires protégées, il faut reconnaitre que ces dernières n’ont pas suffi à arrêter la perte de biodiversité, même si on peut raisonnablement faire l’hypothèse qu’elles l’ont freiné. L’approche scientifique et politique actuelle met l’accent sur la mise en réseau des espaces protégés, via les réseaux écologiques, en intégrant l’acquis des 20 dernières années dans une approche scientifique renouvelée, plus intégrante. Elle oblige à se poser les questions de ce qu’il y a autour des aires protégées, et de la biodiversité ordinaire, celle qui ne justifie pas la création d’aires protégées. Mais la nouveauté la plus marquante des dernières années est la découverte, ou plus exactement la redécouverte qu’il n’y a pas de politique de protection de la nature qui ne passe d’abord par une prise en compte des acteurs qui la font ou peuvent la défaire. Ceci se traduit à la fois pa r une meilleure compréhension de la dimension culturelle de ce qui se joue dans la création et la gestion des aires protégées, mais aussi par l’irruption du concept de gouvernance dans le débat sur la protection de la nature.

Remerciements Mes remerciements vont à Michel Deshayes (CEMAGREF) et Jacques Trouvilliez (Muséum national d’histoire naturelle), à qui le chapitre sur les réseaux écologiques est grandement redevable.



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